Coup de coeur: Voix de femmes

Je n'ai pas l'habitude de faire du copier-coller, mais en surfant sur le net je suis tombée par hasard sur ce passage que j'ai voulu partager avec vous..
Plus que jamais je suis fière d'être une femme Tunisienne, fière de mes racines et de mes ancêtres, fière de nos acquis, fière de notre Statut..
Des Carthaginoises à la Kahéna..Saida Mannoubeya..Aziza Othmana et les contemporaines..Notre civilisation s'est forgée au fil des siècles, métissée, riche et ouverte grâce aux efforts de Grands Monsieurs et de Grandes Dames dont voici un petit hommage aux plus connues d'entre elles..




Je vous parle de Carthage.

Qu'importe mon nom et qu'importent les 2.150 ans qui nous séparent !

Je passe à travers vous, particules indestructibles pénétrant matière et air d'une même indifférence. Errante prestigieuse et sereine, je traverse les jardins, les maisons, les espaces; les ruines de la Grande Carthage m'enchantent.

À toi ! Didon mon ancêtre, bâtisseuse de cette " ville nouvelle ", tu en es l'aurore, j'en suis la nuit tombée.

Je vous écris du temple d'Eshmoun, les flammes dévorent avec voracité les poutres de bois de cyprès et montent, rougeoyantes, pourlécher la charpente du temple. Je les vois arriver à moi de toutes parts, je serre mes fils, je presse leur tête contre ma poitrine, je ne veux pas voir leur regard affolé.

Astrubal, époux tendrement aimé, je te hais désormais depuis que l'être que j'ai érigé s'est détaché de toi. Tu es nu, là, déserteur, félon, tu t'es vendu à Rome.

Tu ne connaîtras jamais la mort si douce, le bien-être de l'éternité à travers les âges où ton corps dispersé en particules plane dans l'espace, infiniment mobile.

Tu auras agglutiné à ton nom la malédiction des Carthaginois. Tu les as trahis, deviens donc romain, mais sans âme et sans honneur.

Pourtant, Astrubal, ta traîtrise t'a immortalisé cependant que l'Histoire n'a conservé de mon immolation qu'un mouvement de stupeur et d'angoisse, abandonnant aux cendres mon nom de femme fidèle !

Peut-on, pour une ville, se jeter dans les flammes avec ses fils ?

Oui ! je l'ai fait pour que vive Carthage !

Je vous parle de Carthage.

En ce jour de printemps de l'an 203, l'amphithéâtre déborde de spectateurs venus se repaître de notre sacrifice.

Nous allons mourir pour Dieu. Nous allons mourir comme Jésus supplicié sur la croix. Tel est notre destin. Devenir martyres pour que la violence se mue en bonté et en magnanimité !

Le peuple s'agite, il veut du sang, il hurle ! Les festivités commencent, les fauves sont lâchés, Perpétue et moi descendons dans l'arène.

Ma maîtresse a accouché il y a tout juste vingt-trois jours, son enfant est à l'abri chez sa mère, son mari l'a abandonnée, lassé par ses idéaux mystiques. Je le comprends, mais moi je ne peux rien dire et je vais me faire dévorer par les lions, moi la servante Félicité. J'irai au paradis des Chrétiens, m'a dit ma maîtresse, mais la vie ici-bas me convient pleinement !

Elle est blême, elle se tient difficilement debout, la montée de lait laisse des auréoles mouillées sur son corsage, sa robe est tachée de sang, elle croise les mains et prie son Dieu de justice.

Elle m'a dit de ne pas m'inquiéter car elle m'associe à toute ses prières, mais je n'ai pas envie de mourir !

Je dois la suivre pourtant. Les gardes nous font signe d'avancer, je recule, ma maîtresse me pousse vers eux.

L'arène, pieuvre enveloppante, assourdissante, jette ses tentacules : yeux fous, bouches ouvertes, mains tendues, cheveux hirsutes, yeux, bouches... grondement, tonnerre....

Je veux fuir. Je ne le peux. Hypnotisée, on ne m'a pas enseigné la révolte !

Les fauves arrivent, souples, affamés, féroces, leurs pattes touchent à peine le sol tellement ils sont pressés de nous dévorer.

Le premier se jette sur ma maîtresse ; d'un coup de griffes, son bras est arraché, je hurle des sons qui ne s'entendent pas, les deux lions achèvent de la mettre en lambeaux, son sang gicle, une odeur poisseuse me soulève le cœur, ses lèvres ne cessent de bouger, mais que dit-elle pour ne rien sentir ? Quelle prière anesthésie ses sens ?

L'arène émet un long spasme d'angoisse pendant que les fauves se tournent vers moi! Dieu de Perpétue! Je ne veux pas de paradis, je ne veux pas souffrir!

Mon esprit discerne dans le tumulte une rumeur montante horrifiée : assez, assez!

Tout chavire...

L'an 384, je vous écris de Carthage.

Je viens d'arriver en carriole dans cette ville étrange. Un cousin lointain me donne le gîte dans sa maison du côté du port. La ville est immense, avec de grandes voies bien pavées qui partent du Levant et filent droit vers le Couchant.

Je cherche mon fils, Augustin. On m'a raconté des choses atroces sur sa vie ! Il passe ses nuits au théâtre, il fréquente les filles de mauvaise vie !

Je ne le laisserai pas s'abîmer dans la licence et le libertinage. J'ai vendu mes bijoux, ma tunique ne tient plus que par des anneaux de cuivre, ma ceinture est une tresse de chanvre. Qu'importe!, cet argent, il me le fallait pour payer le voyage d'Augustin à Rome. Il faut qu'il parte.

Mais où peut-il être ? Il fait nuit noire dans le port, l'obscurité m'effraye, la rue qui monte à droite est éclairée par des lanternes accrochées aux murs de pierre, j'entends une flûte.

" Augustin, pauvre fou, où donc t'es-tu perdu ?

- Dans le théâtre, mère, dans les décors, dans les passions, dans la volupté et l'amour, dans le geste et l'émoi.

- Augustin, mon fils, pars, rends-toi à Rome et sauve ainsi ton âme !

- Mère, aux créatures ivres d'éternité, cherchant l'instant fugace où elles pourront entrer dans la maison éternelle, que dirai-je ?

- À Rome, on t'apprendra la voie qui mène à la Cité de Dieu, mon fils, alors, tu leur montreras le chemin. Pars ! "

Je vous parle d'El Djem en l'an 647.

Je suis Dehïa, fille de Tebtet, fils de Tifane des Jeraoua de l'Aurès. On m'appelle la Kahéna.

Mes guerriers et mes guerrières m'entourent dans cette forteresse romaine, je brandis haut ma bannière. Toutes les tribus berbères se sont ralliées sous mon étendard pour défendre notre terre envahie. Je les conduis vers la victoire.

Je jure sur les tombes de tous mes ancêtres, et au nom de tous les dieux que je vénère, que je repousserai ces Arabes incultes hors de notre territoire ou que je mourrai sous leur glaive !

Que nous apportent-ils, ces envahisseurs? Un Dieu Unique ! Mais nous l'avons déjà ! Juif ou chrétien, nous le reconnaissons, ce Dieu Incréé, nous l'adorons au même titre que les autres !

En fait, qu'est-ce qu'une statue sinon la représentation palpable d'une spiritualité trop évanescente pour être crue ? Ils brandissent bien leur livre sacré, ces étrangers, emblème de leur foi.

Je les réduirai à rien, ils me feront allégeance ou se sauveront comme des couards. La plaine résonne, coups de sabre, voix rocailleuses, hennissements, l'écho les arrache des parois calcaires et les disperse.

Aurès, hallucination bleutée, infini montagneux, immensité azurée. Ils veulent t'enlever à moi, ils veulent te conquérir, t'avilir, te changer! Je te couvrirai de mon corps, je te protègerai, terre féconde, terre berbère.

Mais j'entends des cris d'allégresse monter, mon fils galoper, la victoire est là ! Je vois Hassen Ibn Noomane fuir avec le reste de son armée vers le Sud.

Gloire à toutes les puissances qui m'ont guidées !, moi, Kahéna, reine des Aurès.

Je vous écris de Tunis, un jour de l'année 1240.

La folie pour la liberté ! Est-ce trop cher payer ?

On m'appelle la mahboula dans les rues de la ville, mon visage noir de suie fait peur aux bien-pensants, ils détournent leur regard en prenant Dieu à témoin ! Le connaissent-ils seulement ? Ils auraient voulu que je suive la voie qu'ils se sont plu à tracer aux femmes. Anonymes derrière des murs, silencieuses derrière des moucharabiehs, attentives à leur moindre désir.

Non, Saïda Manoubiya ne sera ni soumise ni dominée. Elle sera libre dans sa tête et dans ses actes.

Las, mon enfant, ne pleure pas, je vais te soigner avec mes herbes, mes breuvages et mes décoctions. Dieu !, que le regard des humbles embaume mon cœur, et s'il me restait une poussière de regret pour le monde que j'ai quitté, ce sourire panse toutes mes infortunes.

Je vous écris de la médina de Tunis en l'an 1640.

Aziza Othmana. Mon nom est grand certes, mais ma personne insignifiante ! Que restera-t-il de moi dans ce nom si ce n'est l'œuvre que j'aurais accomplie? Actes inertes qui traceront le chemin à mon immortalité.

Crée, réalise, exécute, procrée pour que l'Eternité te soit acquise.

Un orphelinat, un dispensaire. Argent, sers donc à quelque chose d'autre que de passer de main en main.

Voyageurs des nuits éternelles, des obscurités opaques, laissez la musique disperser les brouillards et planez avec elle dans son espace absolu.

Dans une oukala du souk, un orchestre jouera tous les après-midi devant vos regards absents.

Moi, Kamla, fille du gouverneur de la ville, je vous salue de Kairouan, ce matin de l'automne 1830.

Je vous salue de cette plaine immense, ocre, plate, nue, où les seules éminences sont les dos moelleux des moutons en troupeaux. Leur mouvance calme et onctueuse soulève un calcaire jaune et les bêtes auréolées traversent l'espace d'un horizon bleuté à l'autre, mais vers quel pâturage ? L'aridité agresse ma vue, la monotonie la désole.

Les teinturiers ont pilé leurs écorces, ont moulu leurs grains, ont malaxé leurs couleurs et mes écheveaux de laine ont pris les teintes des parterres de fleurs, mes doigts agiles nouent point par point les filaments, sur la trame les arabesques florales se détachent ! Encore un point, encore un nœud, une prairie riante s'étale sous mes yeux, je couvrirai la plaine d'un tapis de fleurs !

L'an 2004.

Je vous parle de Carthage avec cette voix infiniment pareille qui court à travers les siècles.

J'aimerais dire à celles qui ont librement choisi de voiler leur corps dans le seul but de préserver l'intégrité morale de quelques pervers au détriment de leur liberté d'être, à ces voilées donc, à ces inconscientes, à ces jeunes femmes ivres de pureté, à ces vieilles beautés encore si remplies d'espoir, prenez conscience de la gravité de votre geste.

Derrière ce voile, des siècles de femmes ont pleuré.

Une génération de femmes et d'hommes lutté a convaincu, a imposé un statut de la femme. Un dicton de ma campagne dit bien : neuf mois pour tous et le même chemin de sortie !

J'aimerais dire aux femmes de l'ombre, aux regards baissés, aux sanglots solitaires, aux errances dans les enceintes aveugles, aux voilées, aux illettrées, aux culpabilisées, à toutes celles que les coutumes ont avilies : " Allez ! "

Alia Mabrouk


6 commentaires:

Anonyme a dit…

Lalla aLIA maBROUK un PEU TA VOISINE..., SAIT BIEN DIRE LES CHOSES!
Et toi tu sais les ressentir et les mettre en valeur!

Bravo à notre bonne vieille terre capsienne et carthaginoise...sans oublier la charmante MArsoise-Blogueuse-émérite!

Téméraire a dit…

Très beau texte, merci pourle partage tout en t'invitant à visiter LELLA MANOUBIA

Anonyme a dit…

Merci Marsoise.
Bravo Alia.
Heureusement qu'il existe encore des voix pareilles chez nous!!!!!!

Marsoise a dit…

@Zelgreco et Massir: Votre passage par mon blog me fait toujours autant plaisir..

@Téméraire v5.0: Merci pour le lien, j'ai été émerveillée par l'histoire de Lella Manoubia..Peu importe son degré de véracité, c'est une belle histoire qui rend compte de l'état d'esprit de l'époque..

Ouss a dit…

Brava...excellent post. Tous mes compléments.
Je n'ai rien contre les libertés personnelles mais je trouve que le retour du voile en Tunisie est très "louche"...Plus qu'un symbole de moeurs, il est beaucoup plus symbole d'Hypocrisie (juste voir les filles dans les facs)!
Encore une fois bravo chère Marsoise;

Aziz a dit…

je crois vraiment Maroises que ce texte devrait etre mis dans tous nos blogs ... j'en ferais part a ma soeur qui a pris la decision elle de mettre le voile . je le lirai a chacune des femmes tunsiienns que je croiserai et je vais me permettre de faire de meme et de fair un post sur le sujet si tu me le permet .