Pendant ma petite absence sur la blogosphère, j'ai remarqué que la majorité du trafic généré sur mon blog provient de lecteurs qui ont fait des requêtes portant sur les centres d'appels: "centre d'appel tunisie", "centre d'appel+salaire", "chômage+centre d'appel"...Rien d'étonnant, puisque ça m'est arrivé de parler de ce sujet à maintes reprises, mais surtout parce que c'est un secteur qui emploie actuellement 8000 personnes (selon des sources officielles). L'Etat voudrait même créer des branches spécialisées dans l'enseignement et la formation des futurs téléopérateurs, pour vous dire l'importance que revêt ce secteur dans l'employabilité des jeunes diplômés. Cependant, plusieurs zones d'ombre continuent d'entourer cette activité, notamment l'absence de législation spécifique qui garantie les droits de ceux qui travaillent dans les centres d'appel ainsi que l'absence d'autorités compétentes qui luttent contre les dépassements si fréquents relevés dans ce secteur d'activité.
Pour vous donner une petite idée sur la réalité des centres d'appel en Tunisie, je vous propose de lire cet excellent article, ainsi que les témoignages de certains qui continuent à être exploités dans l'ombre et l'indifférence totale:

"Depuis l’aube du troisième millénaire, marqué par la libéralisation progressive du secteur des services et l’entrée en vigueur des accords de libre échange, les centres d’appel ont profité des multiples privilèges fiscaux - notamment la loi 72 pour les sociétés complètement exportatrices - pour pousser comme des champignons un peu partout en Tunisie.

Le secteur de la délocalisation des services à valeur ajoutée a pris son envol en l’an 2000, après l’implantation à Tunis de la tentaculaire société française « Téléperformance ». Depuis, le nombre de centres d’appel, qui ne dépassait pas la somme des doigts d’une main, a grimpé de façon fulgurante, atteignant la vingtaine en 2003 et plus de cinquante en 2005. Ils emploient actuellement quelques 4000 téléopérateurs et téléopératrices, dont la majorité appartient à la gente estudiantine. Les patrons des jeunes pousses françaises choisissent la Tunisie - malgré la rude concurrence qu’exerce le Maroc dans cette activité - non seulement pour bénéficier des avantages préférentiels qu’accorde l’État aux investisseurs étrangers, mais aussi pour compresser les charges puisque les salaires sont ici cinq fois inférieurs à ceux accordés en Europe. En plus de trouver une main d’œuvre à bon marché, les exploitants des centres d’appel tirent certainement profit de la maîtrise parfaite des langues étrangères, surtout du français, chez bon nombre de jeunes Tunisiens. La discipline, le faible taux d’absentéisme et la capacité des jeunes cadres tunisiens à communiquer à distance ne peuvent qu’augmenter le bénéfice de ces sociétés.

Au départ, les centres d’appel ont constitué une aubaine pour les étudiants souhaitant assurer leur indépendance financière vis-à-vis de leurs parents et voler de leurs propres ailes, mais au fil des années, le marché des délocalisations des services s’est transformé en un phénomène qui mérite d’être analysé en profondeur. En effet, de nombreuses informations font état de plusieurs abus et de pratiques illégales, soulevant ainsi certaines questions : quelle évaluation peut-on faire du rendement économique et social des centres d’appel en Tunisie ? Ce secteur « prometteur » ne serait-il pas en réalité entrain de favoriser la précarité de l’emploi ?

L’absence de choix

« Je n’avais pas le choix », indique Ahmed, 29 ans, qui travaille comme téléopérateur, en dépit de son diplôme d’expert comptable. Comme des milliers de diplômés de l’enseignement supérieur, ce jeune homme a mis son diplôme au placard pour partir à la recherche d’un emploi, même temporaire et incompatible avec son niveau d’instruction. Diplôme en poche depuis 2002, Ahmed a « inondé » de demandes d’emploi les banques et les établissements financiers. Toutes ses demandes ont accusé une fin de non recevoir. Ainsi, il s’est vu contraint à exercer durant une année dans la précarité au sein d’une société privée, avant d’être remercié par le patron qui n’embauche des diplômés que pour bénéficier de la contribution aux salaires qu’accorde l’État dans le cadre des stages d’insertion dans la vie professionnelle.

Au sein du centre d’appel, où il travaille actuellement, le jeune diplômé touche 420 dinars par mois. « Je ne peux plus me passer de cette somme car il est hors de question que je recommence à demander de l’argent de poche à mon père », dit-il. Et d’ajouter : « ce salaire ne me permet pas néanmoins de faire des économies pour que je puisse convoler en justes noces avec la fille que j’aime. D’après mes calculs, la cérémonie du mariage coûtera 7000 dinars, dans le cas où la famille de ma fiancée m’épargne beaucoup de dépenses onéreuses et où je me contente d’un séjour dans un hôtel local au lieu du voyage de noces, sans parler de bien d’autres concessions nécessaires pour compresser les coûts. »

Tout compte fait, Ahmed ne pourra pas se marier avant trois ans. « C’est toujours mieux que rien, dit-il, mais encore faut-il que je sauvegarde mon poste d’ici là ». Sa crainte d’être licencié à tout moment découle du fait que les centres d’appel recourent, durant les deux premières années, aux contrats à durée indéterminée qui permettent à l’employeur de remercier les téléopérateurs quand il le désire, sans obligation de donner des explications ni d’octroyer des indemnités aux licenciés. Autant de précarité remet en question la contribution d’un secteur qui a le vent en poupe à la lutte contre le chômage des diplômés et à la stabilité sociale.

Dépassements et exploitation

Sophie, tel est le pseudonyme qu’utilise Asma, 24 ans, étudiante en troisième cycle Anglais, pour communiquer avec les Français du troisième âge qu’elle appelle tous les jours. Elle tente tant bien que mal d’avoir l’accent parisien, qu’elle connaît à travers les chaînes satellitaires françaises. Sa crainte d’être trahie par son accent arabe la travaille à longueur de journée : si ses interlocuteurs venaient à découvrir son origine, leur humeur risquerait de changer. Comment leur faire accepter cette bouteille de vin bordelais en contrepartie d’une participation à une réunion de promotion où ils seront « sommés » d’acheter verrerie en cristal ou appareil électroménager ? Cette étudiante qui, en début de carrière, s’est angoissée à cause de la vente du vin pour des considérations religieuses, surtout pendant le mois saint de Ramadan, exerce ce métier pour éviter les fins de mois difficiles. Une « fatwa », émise par un imam de la famille, préconisant que « la nécessité justifie la transgression des interdits » l’a finalement rassuré. Ce que Asma ne peut cependant pas accepter, c’est l’injustice et les moyens détournés auxquels a recours le patron depuis plus d’un an pour ne pas payer ses employés à temps et les priver de la couverture sociale. Bien que ces dépassements ne la préoccupent pas outre mesure, puisqu’elle ne compte pas faire long feu dans le centre d’appel, elle ne cesse de revendiquer le respect des droits des travailleurs par solidarité avec sa collègue Samia, 35 ans, mariée et mère de deux enfants, qui ne peut se passer de son gagne pain.

A en croire le témoignage de « M », 24 ans, titulaire d’un diplôme de premier cycle en économie et gestion qui a préféré garder l’anonymat, la question des dépassements prend parfois une tournure très sérieuse. Ce téléopérateur exerçant dans un centre d’appel spécialisé dans la voyance et « la vente d’illusions », sis à l’avenue Kheireddine Bacha, estime que son employeur ne respecte pas le code du travail. Le patron en question refuse l’augmentation des honoraires des heures supplémentaires, l’octroi des majorations aux employés travaillant plus de 45 heures et il est même allé jusqu’à supprimer la prime du transport nocturne ainsi que l’indemnité du mois de Ramadan. De même, il refuse catégoriquement la création d’un syndicat qui défend les intérêts des employés. Et notre interlocuteur de renchérir avec beaucoup d’amertume : « les dépassements ont même atteint le stade de l’humiliation. Un jour, l’un des gérants français du centre d’appel n’a pas hésité à répondre à un téléopérateur, qui contestait la détérioration des conditions du travail, que le marché français des délocalisations des services constitue une nouvelle colonisation, tout en l’invitant à partir si la situation ne lui plaisait pas. »

Tous ces dépassements et bien d’autres - certains centres d’appel emploieraient des jeunes sans contrat de travail - laissent de nombreuses questions en suspens : le secteur contribue-t-il réellement à résoudre le problème du chômage des diplômés ? Les autorités compétentes luttent-elles contre les dépassements qui vont crescendo et veillent-elles à l’application de la législation relative au travail dans cette activité ? Le code du travail suffit-il à lui seul pour protéger les droits des travailleurs ?"


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